J’ai fait le plus effrayant des rêves: Amy Winehouse était heureuse et faisait un album là-dessus. Il contenait des chansons sur sa joie de voir Blake hors de prison, sur ses projets de famille (elle avait dû annuler sa tournée pour cause de grossesse), elle se coiffait, se maquillait et s’habillait comme la ménagère lambda, s’était fait enlever tous ses tatouages au laser, se faisait prendre en photo en train de faire des courses chez Baby Dior ou en train de tricoter de la layette devant un thé (un thé ! la chanteuse de « rehab » ne buvait désormais que du thé, même pas long island !), avait repris du poids et des couleurs, bref, Amy Winehouse était devenue Vanessa Paradis en encore plus lisse ! Le réveil fut rude et douloureux, je suais à grosses gouttes et tout mon corps était courbaturé, comme si je sortais d’un combat de boxe avec Evander Holyfield. Comprenez moi bien, la perspective qu’Amy trouve du bonheur et de l’équilibre dans sa vie, fut-ce sous quelque forme que ce fut me réjouissait pour la personne qu’elle était, si fragile et déboussolée… non, ce côté-là de mon rêve ne me dérangeait pas, au contraire. « Good for you, Amy ! » Mais en attendant, ce bonheur a flingué ta carrière. D’accord, pendant un moment tu pétais un peu les plombs, tu annulais des concerts à tour de bras, et ceux que tu n’annulais pas, tu en chiais la moitié. Trop bourrée, trop coké, trop perchée pour donner satisfaction à un public devenu aussi accro à toi que tu ne l’étais à tes substances, qui te permettaient de fuir une réalité trop dure à assumer. Oui, mai voilà, si tu commences à nous servir de la soupe pré mâchée, avec quoi allons-nous apaiser notre douleur, nous, les vrais individus lambda, qui utilisions ta musique comme baume pour nos blessures ? Nous avons besoin de géniaux artistes comme toi, à la sensibilité à fleur de peau, et surtout capables de l’exprimer avec autant de puissance lyrique, pour mettre des mots sur nos maux, des mots justes, des mots universels, des mots qui touchent tout le monde et tout un chacun de façon bien particulière, de beaux mots… Non, Amy, nous t’aurions pardonnée d’être partie, de nous avoir abandonnés en pleine gloire pour aller jouer l’épouse modèle, en 24 ans tu as l’air d’en avoir chié l’équivalent de 240, tu le mérites autant sinon plus que quiconque. Mais alors il fallait partir, comme tu as toujours fait, sans chercher à justifier quoi que ce soit, sans croire que tu nous devais un « album d’au revoir ». Non, si cet album doit te ranger à côté des grandes chanteuses consensuelles, alors il fallait t’en abstenir. Le problème avec les artistes consensuels, trop lisses, c’est qu’ils sont, pour la plupart du temps, incapables de nous faire ressentir ce qu’ils chantent. Aussi belles soient les voix, aussi irréprochable soit la technique de chant, ÇA NOUS ENNUIE, au bout d’un moment! Mariah Carey, qui a commencé sa carrière en trombe, diva à la voix cristalline, mariée à son pygmalion de 30 ans son ainé, a décidé de se dévergonder, troquant sa robe de soirée pour les shorts XXS ne cachant rien de sa généreuse anatomie ; Whitney Houston, la petite fiancée noire de l’Amérique, formatée par Clive Davis et considérée « trop blanche » au début de sa carrière par la communauté noire de son pays tellement elle manquait d’aspérité (en apparence), a changé radicalement son image et sa vie en se mariant avec le Bad boy du R& B américain, menant une vie à 300 à l’heure avec coke, marijuana et scandales à tous les étages. Elles ont eu le parcours inverse du tien. Mais contrairement à toi, et c’est là ta force, tu as su te montrer géniale dans l’adversité, dans la tempête. Whitney a perdu 20 kg, gagné des valises sous les yeux et n’a pas sorti un album digne de ce nom depuis un moment; Mariah a continué a sortir album sur album, chantant des fadaises désormais destinées à des gamines de 14 ans qui veulent toutes porter ses tenues de pouffe post ado attardée. Toutes les deux ont commencée comme des artistes au comportement exemplaire, alors que toi, dès le début, tu as refusé de compromettre ton intégrité, de donner une image « marketée » de toi. Il est donc normal que, maintenant que tu es heureuse, tu ne sois capable que de bluettes pleines de bons sentiments, parlant plus de biberon avent que de bouteille de Jack Daniels… car c’est ta vie désormais, ta réalité !
Donc tu comprends que je me sois réveillé en sursaut ! Rien que de m’en rappeler, ça me donne encore des frissons… Mais heureusement, tu n’en es pas encore là. Tu souffres encore, c’est regrettable, comme pour tout être humain sur terre. Mais tu as encore matière à faire un ou deux albums de haute volée ; car tout ce que tu as connu depuis la sortie de ton deuxième album, carton mondial incontesté et si plébiscité, qui t’a fait passer du statut de gloire nationale à star mondiale, tu dois encore l’évacuer, le gérer, l’encaisser. Et tu ne le fais jamais aussi bien qu’en musique, parler de tes expériences de vie. Car tu es ta musique, et ta musique, c’est toi. Alors j’essaie de me rassurer, je me rappelle que ce n’était qu’un mauvais rêve, et je continue d’écouter Back to Black en boucle, du début à la fin. Sans zapper la moindre chanson. Et soudain, ma souffrance, ça va mieux…