TRONDHEIM; HEMNES; ALVINE KOTTAR; EDLAND; ÄRSTID; KVART; GRUNDTAL; LÄMPLIG; STENSTORP
Non, je ne me suis pas passionné soudainement par la langue suédoise. Je ne suis pas non plus en train de choisir des prénoms pour mes futurs enfants. Vous voyez toujours pas? Vous êtes nuls, c'est écrit dans le titre! Voilà, j'ai feuilleté un catalogue Ikea. Et là je sens les connaisseurs du problème frémir intérieurement... QUOI? T'en es LÀ? Tu emménages avec ta chérie? Euh... non, pas du tout! Mais pourquoi ce front ruisselant de sueur, tout d'un coup, cette impression de malaise? Ça ne va pas? Si, je vois bien que tu vas pas bien, là... Allez, dis moi tout...
Ceci n'était qu'une manifestation possible du complexe d'Ikea chez les jeunes fin vingtenaires/début trentenaires des années 2010. Le complexe quoi? Oui, le complexe d'Ikea, aussi connu comme la peur panique du bleu et jaune, les chocottes du supermarché de l'aménagement intérieur pour jeune couple aux moyens plus ou moins limités mais ayant envie de confort et un minimum de design. Mais avouez que c'est long, tout ça, alors on va l'appeler le complexe d'Ikea. Ou tout simplement la peur de franchir le pas. Décryptage, s'il vous plaît.
Il/elle a entre 25/35 ans,jeune cadre urbain dynamique se battant pour se faire sa place professionnellement, ayant connu son lot d'aventures et mésaventures amoureuses, son lot de déceptions et parfois ayant connu les joies de la vie en concubinage: pas en collocation, mais la vraie vie maritale, bail aux deux noms, compte joint, vacances dans les deux familles et toute la panoplie "on est jeunes, beaux et on a un avenir radieux ensemble". Mais voilà, cet avenir se conjugue aujourd'hui au passé, la claque est arrivée qui fait mal, et il/elle a été contraint(e) de se regarder autrement que comme la personne idéale, le couple idéale... C'est une des nombreuses "sorties du Paradis" qu'on connait au long de notre vie ("à 3 ans, en entrant en crèche: ah bon, je ne suis pas le centre du monde? Maman n'est pas Dieu? je dois apprendre à partager?"; des exemples comme ça il y en a à chque étape importante de la vie...); probablement la première claque sérieuse en tant qu'adulte, elle laisse des marques, et c'est bien connu que "chat échaudé..."
Mais bon, on s'en relève, un peu moins naïf, un peu plus cynique, on traverse des périodes de flou sentimental, de recherches diverses et variées, jusqu'à ce que l'impensable arrive; un nouveau quelqu'un, qui a commencé par être un quelqu'un parmi des quelqu'uns, devient peu à peu QUELQU'UN... et là c'est la merde... (quelqu'un me suit? ok, je continue, alors). Aprè la déception, le nihilisme sentimental semblait une alternative possible et paisible à la souffrance provoquée par le simple fait d'aimer. Être vulnérable, craindre que l'autre (le nouveau quelqu'un) nous blesse à nouveau (alors que c'est pas lui qui l'a fait, c'est le quelqu'un antérieur, faut suivre...), c'est prendre un risque inutile... Surtout si c'est pour finir comme la ou les fois antérieures... Alors on se laisse vivre, on va d'arbre en arbre, on goûte à tous les fruits mais on se décide jamais à planter son propre pommier. Alors pourquoi, Grand Dieu, laisse-t-on ce nouveau quelqu'un devenir QUELQU'UN? Pourquoi se met-on à rêver que "cette fois-ci pourrait être la bonne, qui sait..."?!?
Bref, on est masochistes dans une certaine mesure, ou alors romantiques, ou alors pragmatiques, et on sait que à 30 ans, envisager de passer sa vie seul, sans réduction d'impôts, c'est hard, et on met deux fois plus de temps à payer un appart... En somme, on peut se donner toutes les excuses, justifications ou prétextes au monde, la seule explication valable est que la vie suit son cours! On a envie, besoin de partager de l'intimité, de construire une relation, de s'épanouir aussi de ce côté là (les K€ c'est bien, mais tout seul, au bout d'un moment...), voire de se répliquer (tic tac, tic tac... horloge biologique bonjour, j'écoute?). OK. Donc on est dans cette nouvelle passade devenue relation, et avant qu'on se rende compte, on a les mêmes amis, on connait l'arrière grand mère l'un de l'autre, on est un couple, c'est clair et net... Ça fait maintenant 2 ans q il n'a plus mis les pieds dans son appart, qu'il a d'ailleurs sous loué à un pote en galère... Mais toujours pas d'appart aux deux noms, plus spacieux, loyer unique et factures partagées... C'est une zone de non droit, un peu, le Sahel du couple, un tabou tacite auquel on ne touche pas... La moindre allusion à un VRAI emménagement, à une vie commune sur un mode plus réglementé que celui du camping sauvage chez l'autre, ça réactive de vieilles angoisses, déclenche des réactions de panique et des comportements irrationnels... Ce sont les résidus de ce qui s'est pas bien passé, voire de ce qui s'est très mal passé qui remontent à la surface, et on se met à revoir le film au ralenti... alors on repousse, on évite, on rejette l'idée même d'un quelconque projet de cet accabit... la simple présence d'un catalogue Ikea est vécue comme une attaque frontale, comme un coup de pression de 400 tonnes sur nos frêles épaules encore meurtries de la dernière relation qui s'est si mal passée (ah bon? ça fait déjà 4 ans? ah ouais, ça passe vite...)
Le fait est qu'on promène tous des vieux démons de notre passé, et ils conditionnent parfois notre comportement dans la relation présente, ce qui est mauvais, surtout quand on n'en a pas conscience. Dans ces conditions, prendre un pas de l'avant, décider, après une période raisonnable, de reformer un foyer (au bout de 3 mois, c'est peut être un peu rapide quand même... 7 ans, tu peux légitimement te demander pourquoi tu es avec la personne si vous êtes incapables de franchir un cap, mais la vérité c'est que chacun son rythme, donc c'est une chose qui se règle à deux, comme toutes les danses en couple), ça devient pesant, difficile, et pas souhaitable. Ikea, ça veut dire vrai nouveau départ, avec les mêmes risques d'échec, mais la conscience de ça en plus...Donc on se met en ménage la première fois par amour et on espère que ça durera pour toujours; on le fait la deuxième fois en étant conscient qu'il faudra travailler et donner de sa personne pour faire vivre la relation sachant que même comme ça il n'y a pas de garanties de quoi que ce soit... DUR! Mais oui, mais c'est ça, la vie, coco... Bienvenu dans la vie adulte! Ikea, c'est ne plus être emporté dans le tourbillon de l'amour, mais faire des choix conscients, pragmatiques, structurés et structurants... C'est passer du yéyé insouciant et jouisseur avec les cheveux en bataille au jeune cadre, costard cravate, crédit maison sur 20 ans, vacances à la Baule 2,1 enfants... C'est pas automatique, mais c'est se mettre sacrément sur la voie. Alors ajoutez cette énième perte de l'innocence aux différents problèmes susmentionnés découlant d'un passé marqué; conjuguer liberté nouvelle ou retrouvée et "enchaînement" volontaire et en quelque sorte "pénalisant" ne serait ce que du point de vue de la liberté individuelle au sein de notre propre chez nous, dans notre ultime rempart... Le besoin humain de liberté et d'indépendance est il compatible avec celui tout aussi humain de partage, d'attachement et de fondation d'un foyer rassurant, d'un cocon, d'un nid à deux? Cette question, aussi banale puisse-t-elle paraître, est, si l'on regarde d'assez près, très nouvelle, et toute ma génération se retrouve confrontée à elle. Aussitôt que des réponses se feront connaître, je vous en ferai part, promis, les amis! En attendant, il paraît que c'est les soldes chez IKEA!
(coincidence extrême: au moment où je boucle cet article, le mode aléatoire de mon iTunes joue "Breakdown" de Mariah Carey, feat Bone Thugs n' Harmony...)