Thursday, June 12, 2008

Démons




- Je n’aime pas ce dessin ! C’est comme un concentré de tous les vices…

- Chacun sa propre interprétation…

- Ah bon ? C’est quoi la tienne ?

- Ça correspond à une période de ma vie…


…Et voilà… on n’est pas allés plus loin dans l’explication… comme d’habitude…



Ce n’est jamais facile de parler de ce qu’on produit, dessin ou écrit, car cela nous semble tellement évident et en même temps si intime que le simple fait de l’exposer au regard de l’autre, c’est se dévoiler plus que ne le ferait n’importe quel monologue explicatif de nos tourments intérieurs. Créer, c’est sortir ses peurs et ses angoisses, ses joies et ses fantasmes, c’est s’exprimer bien plus librement que la vie ne nous le permet. L’exposer au regard des autres, c’est du pur exhibitionnisme, c’est demander à être aimé, pas forcément compris. C’est prendre le risque d’être jugé, critiqué, librement interprété. Les yeux de celui qui voit apportent une vision personnelle de l’objet analysé. Alors celui qui crée s’amuse à brouiller les pistes, à se créer un vocabulaire personnel, dans lequel chaque symbole a un sens très personnel, souvent éloigné de sa signification première.
Ainsi, par exemple, lorsque je dessine un arbre sans feuilles, je fais référence à mes origines. Un arbre nu, avec ses branches qui s’étendent dans le ciel, outre l’allusion à la généalogie, donc à la famille, ressemble à s’y méprendre à une racine inversée. Donc je sors les racines, les jette dans le ciel, pour garder à l’esprit cet attachement à mes origines, à une famille trop présente dans ma vie, à un besoin de s'y attacher d'autant plus grand que j'ai grandi en dehors, au sens propre comme au figuré. Enfance entre Angola et Europe (Portugal, France), ce qui sous entend une façon de penser et de voir forcément différente, et pas forcément toujours bien admise. d'où les branches qui me rentrent dans le cerveau, qui me torturent, mais qui me tiennent en même temps, qui me donnent une assise, un ancrage. Tout le paradoxe de la (ma) famille (je vous haisme!) dans cette image. Le ruisseau, c'est la vie, qui suit son cours, avec du bon et du moins bon, touchant l'absolu parfois (cette femme que je cherchais, cette muse sans visage qui me complètera, qui ne fait qu'éffleurer ma vie de ses pieds, mais qui en changera le cours à jamais...) ou le désespoir souvent (la bouteille de "desperados", qui vaut pour son nom aussi bien que pour le symbole de l'alcool, où se noient les poètes maudits, qui apporte plus d'amertume que de soulagement, plus de déchéance que de réconfort); le tout, sous l'oeil de deux symboles très importants, le Penseur (pas celui de Rodin, mais celui de l'Angola, clin d'oeil à ma culture, à laquelle je suis d'autant plus attaché que je crains de ne pas la connaître suffisamment) et la Comédie Humaine , pour moi l'ouvrage le plus important de la littérature française, peinture d'une société et de son temps qui restera jamais inégalée. C'est donc en me rêvant Balzac, ayant connaissance des zones d'ombre de ma propre personnalité, en voyant tous les nuages de doute et d'indécision qui me tourmentent que je décide quand même d'avancer, vers le chemin indiqué par cette main, qui est en même temps tendue, demandant de l'aide, et guidant, appelant à continuer le trajet...


Ce dessin date de l'été 2003, après de multiples péripéties dans ma vie (année difficile, déménagement après une période d'errance, et j'en passe), je voulais avancer, reprendre le cours de mon existence, continuer, grandir. Au bout du compte, je t'ai rencontrée quelques semaines après, et j'ai vécu un vrai bonheur, malgré des problèmes qui subsistaient (croire qu'on puisse se débarasser de tous nos problèmes pour "enfin être heureux" est pour moi la plus grande des utopies, il faut savoir être heureux "malgré les problèmes" et se servir de cette énergie positive pour les résoudre, sachant que d'autres les remplaceront. C'est un éternel recommencement). Si je le ressors aujourd'hui, c'est que je viens de traverser une autre période difficile, et j'ai la même envie de sortir de cette brume, de ce paysage de désolation. Si je devais le refaire aujourd'hui, j'y ajouterais quand même quelques éléments, parce que les choses ont quand même changé en 5 ans: j'y mettrais le visage de la muse anonyme, et je donnerais des feuilles et des fruits à l'arbre. Les branches continuent de tourmenter le cerveau, mais aujourd'hui l'arbre a donné le plus beau des fruits qui soit, dont les feuilles me font la plus douce des caresses...

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