La grande messe des Oscars est toujours une occasion de parler de films (qu'on n'a pas forcément vus); ce dimanche, une fois n'est pas coutume, le grand cirque s'est déployé sur le monde, nous donnant à voir ce qui s'est fait de mieux (en principe) dans le cinéma américain en 2009. Entre la superproduction attendue au tournant (Avatar), l'ovni venu d'ailleurs (District 9), la chronique de la vie quotidienne façonnée pour gagner des prix (Up in the Air), le film révélé par les festivaux (Precious) et le gagnant surprise qu'on n'a pas vu venir (Hurt Locker, Les Démineurs en français), la compétition fut rude.
Les films que je viens de citer, je les ai tous vus. Le dernier en date, le seul que j'aie vu APRÈS les remises des Oscars, c'est Precious. C'est l'histoire d'une adolescente noire, d'un milieu défavorisé, qui doit se battre contre des obstacles que la plupart d'entre nous ne pourraient ne serait-ce que regarder en face...
Clarisse Precious Jones est Noire. Elle habite le quartier difficile de Harlem, New York, avec sa mère, une femme violente, dépressive, sans ambition ni but dans la vie, vivant de l'aide sociale et s'accomodant de cette situation. Precious est obèse; cela la rend victime de railleries, de moqueries et même d'agressions de la part de ses voisins, collègues de classe, etc. Precious est mère. Elle a été violée toute sa - courte - vie par son propre père, dont elle a déjà un enfant attardée et attend le deuxième à 16 ans à peine... Le père en question a déserté le foyer, abandonnant Precious à la rancoeur d'une mère qui n'a pas su la protéger, et l'a par la suite transformée en rivale (alors qu'elle n'était que victime). Sa mère la rabaisse à chaque occasion, l'agresse avec tout ce qui lui tombe sous la main, détruisant le peu d'estime qu'il pouvait lui rester à ce stade. Precious se réfugie dans un monde imaginaire, dans lequel elle serait une star de la chanson et du cinéma, adulée par des millions de fans selon le cliché de l'American Dream réservé aux noirs...
À chaque coup dur, plutôt que de réagir, Precious s'enferme dans cette rêverie, les cris de sa mère deviennent les acclamations du public, la langue râpeuse d'un chien sur son visage à terre devient le baiser langoureux d'un jeune éphèbe subjugué par elle... Et elle pousse son existence en avant de cette façon, jusqu'à ce que les circonstances l'obligent à réagir, à FAIRE plutôt que de laisser faire... L'exclusion de l'école, la réaction de sa mère à sa deuxième grossesse, la découverte de sa séropositivité... Precious est obligée d'arrêter ses rêves de BET, et de s'accrocher à des rêves à sa mesure: avoir son GED (bac), reprendre de l'estime en soi, et s'accrocher à la vie pour être présente pour ses deux enfants aussi longtemps que possible...
Precious n'est pas un compte de fées avec un happy end... C'est l'histoire de vies détruites par l'ignorance, la pauvreté, l'exclusion sociale, la dépendance à l'alcool, à l'aide sociale... C'est un portrait d'Amérique, un des nombreux possibles, une histoire tragique à l'écran mais hélàs bien trop banale dans certains ghettos... Le but du film, néanmoins, n'est pas de nous faire voir la vie en Noir, mais de nous pousser à croire en l'autre, en soi. Precious compte sur le soutien de plusieurs personnes qu'elle rencontre le long de son chemin de croix, des personnes qui lui apportent plus que sa mère et son père ne lui ont apporté toute sa vie. Ce sont ces gens qui la font se sentir aimée, appréciée, capable, humaine. Ce sont ces personnes qui vont lui permettre de s'aimer un peu, suffisamment pour se libérer dde l'emprise de sa mère et tenter de reprendre le goût à la vie, de donner à ses enfants ce dont elle a si cruellement manqué. Ces personnes l'aideront à recoller les morceaux d'une vie à laquelle elle ne semble pas tenir plus que ça, jusqu'au moment où elle apprend sa maladie. À la fin du film, on ne peut s'empêcher de se dire que cette enfant, mère de deux enfants, ne les verra pas grandir beaucoup, qu'elle est condamnée par celui même qui lui a donné la vie et ses deux enfants... Mais on la voit prête à profiter de chaque moment avec eux, de s'améliorer, d'apprendre, d'évoluer, de VIVRE!
Parce que trop souvent, nous laissons faire les circonstances, et nous nous retrouvons incapables de casser le moule du déterminisme qui nous enserre, ce film nous permet non pas de rêver, mais de voir la saleté, la noirceur dont l'âme humaine est capable, et de croire quand même à une forme de rédemption. Pour peu qu'on consente à en prendre le dur et tortueux chemin. Et à faire le premier pas. Ce pas qui nous sort d'un schéma pré-établi, d'un héritage de douleur et de rage, ce pas libérateur qui sera le début du lever de soleil... Ce film m'a fait entre autres choses, réaliser la chance que j'ai d'avoir tellement de pas d'avance par rapport à plein de gens, aux Precious de ce monde, qui eux, partent de très loin. Le jour où j'oublierai, égoïstement, d'en être reconnaissant, je commencerai à perdre des choses importantes dans la vie. Peut être est-ce déjà fait. Sûrement. Mais il ne faut pas que ces pertes me pèsent pour la traversée, mais qu'elles me poussent.
"A thousand miles-journey begins with a single step". Confucius