Je suis un architecte. En tant que tel, je suis censé être sensible à tout ce qui concerne la préservation du paysage urbain. Je dois même, sur chaque projet, aussi infime soit il, sur lequel je travaille, envisager son devenir, son évolution, sa perception globale de la part de l'usager quotidien. Cependant, dans ma formation et au long de ma vie, j'ai aussi été sensibilisé à des formes d'art diverses et variées, dont le graffiti.
Arrivé à Lisbonne, un de mes premiers "raids" photographiques urbains m'a amené à un mur, à Campolide, couvert de tags sur des dizaines de mètres. Ce mur donne sur un espace indéfini, ni jardin ni terrain vague, ni espace de promenade ni place publique aménagée... C'est un mur tampon, le long duquel passe une route assez mouvementée, et derrière lequel il y a... mystère! Toujours est il que l'espace publique qui lui fait face n'est en aucune autre façon valorisé, et étant donnée sa localisation et sa morphologie, il ne le sera sûrement pas dans les années à venir... Ce mur avait donc vocation à devenir une longue et ennuyeuse limite physique entre un espace privé et un espace publique, une barrière visuelle plate rapidement traversée par les automobilistes. Il est devenu un espace de repos, de curiosité, devant lequel on se promène à pied, qui interpelle lorsqu'on est en voiture, et agréable à longer en flânant, pour découvrir les différents styles, messages, délires et coups de gueule des artistes qui se sont succédés dessus... Car c'est bel et bien un lieu d'expression. Et dans ce cas précis, le graffiti donne aussi une expression à ce no-man's land, lui confère une âme...
Enfant de la génération Hip Hop, me révendicant en tant que tel, mais aussi fan du travail d'artistes des années 80 tels que Keith Haring ou Basquiat, je ne perçois pas le graffiti seulement comme étant un acte de vandalisme: il est avant tout UN FAIT. Le graffiti est là pour attirer l'attention, pour revindiquer, pour marquer un territoire, pour divertir, pour illuminer, pour embellir, pour critiquer, pour faire voyager, pour faire s'évader l'oeil et l'esprit... L'art mural existe depuis des milliers d'années, si on remonte aux peintures rupestres... depuis, que ce soient les hiéroglyphes égyptiens, des inscriptions "sauvages sur les murs des cités de l'Antiquité allant de la satire politique à la propagande sportive, les fresques murales de la Renaissance ou celles révolutionnaires de Diego Rivera, jusqu'au tag, les graffs légendaires des rues de New York, les pochoirs de Miss Tic, les filles aux formes de pin up de Fafi ou Monsieur Chat, énigmatique félin jaune, toutes dents dehors, qui peuple les murs des villes françaises (et étrangères maintenant)... Toutes ces références s'inscrivent de façon inconsciente dans nos rétines, et ce depuis que l'homme sait dessiner!
La guerre opposant assez logiquement les architectes aux "vandales" qui venaient aposer leur signature sur les oeuvres des premiers a pris des contours plus flous, ces temps ci. Le graffiti a droit de cité dans le monde des arts contemporains; il n'est plus considéré un mouvement marginal, il est même un des plus emblématiques symboles de la culture POP. Pour preuve, les diverses expositions qui lui ont été consacrées en 2009/2010, dans les lieux les plus prestigieux (grand Palais, Fondation Cartier, Palais de Tokyo, Musée d'Art Contemporain de Lyon...); et pas que des "artistes" reconnus ont été exposés, vendus, lors de ces gigantesques adoubements de ce "street art": des anonymes, qui s'inventent leur typographie, leurs codes, leur style, et le répandent sur les murs, poteaux, sols, fenêtres, transports de la ville... Certains architectes intègrent même les codes du graffiti dans leurs immeubles, sérigraphiant leurs façades, en faisant des objets modernes et communiquant avec les usagers et l'urbain de façon inédite...
J'aime le graffiti. Indépendamment de la beauté plastique de chaque oeuvre, j'aime l'esprit qui a animé l'éclosion de cette forme d'art telle que nous la connaissons aujourd'hui. La transgression, la dénonciation sociale, l'envie d'améliorer "à leur façon" des espaces visuellement sinistres, la façon d'interpeler, intelligente parfois, crue souvent, sauvage toujours... Ce n'est pas par hasard que c'est un des piliers de la culture Hip Hop, cette espèce d'énergie désespérée de laquelle naît l'inatendu, cette mauvaise donne de départ transformée en combustible de vie... c'est tout à fait conforme à la philosophie véhiculée par la culture dans laquelle j'ai grandi, que j'ai adoptée et dans laquelle je me reconnais depuis un moment déjà...
"I start a picture and I finish it. I don't think about art while I work. I try to think about life." Jean Michel Basquiat
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