Hip Hop. Rap. Flow. La base. Peu importe le contenu des paroles dans un premier temps, le premier critère qui fait qu'un rappeur en est un, c'est son débit, sa capacité à enchaîner intelligement mots, jeu de mots, rythmes et ruptures afin de faire de son phrasé un instrument à part entière. Pas un instrument mélodieux comme la voix d'un ténor, mais un instrument rythmique. Rapide, lent, les deux alternés, des intonations, des allitérations, de la respiration... tout cela est important pour faire un bon MC. Il y en a qui misent TOUT sur leur technique (Bone Thugs and Harmony, des "cracheurs" de folie mais au contenu "léger"), d'autres ont un débit plus classique mais sont plus axés sur le contenu et le message (Common, pour ne citer que lui), d'autres encore traversent tout un spectre de phases, mettant tour à tour l'accent sur l'un des aspects de leur art, jusqu'à les maîtriser dans l'ensemble. Disons les choses comme elles sont: les meilleurs rappeurs ne sont pas forcément ceux qui ont du succès commercial. Certains très grands talents, pour des choix artistiques hasardeux, des choix de vie hasardeux ou manque d'opportunité de percer, ne deviennent jamais riches et célèbres. Mais tout le monde s'accorde à dire que ceux qui percent, même s'ils deviennenet "commerciaux" à un moment, sont des bons (Biggie, Jay-Z, Nas...). Chacun se développe dans son propre sens. Snoop, par exemple, c'est le son laid back de la west coast, le lazy flow, la démarche nonchalante et l'attitude détachée. Tout dans son flow reflète cet état d'esprit, il est "raccord" avec le personnage et le message qu'il véhicule. Marketable à mort, son éclosion dans le début des années 90 sur "The Chronic" de Dr. Dre a été une conséquence logique de cela.
Mais quand il s'agit de flow, il y a deux cas dans le Hip Hop américain que j'aime citer: Eminem et Big Pun (R.I.P.). Le premier est un petit blanc issu de la banlieue de Detroit. Le deuxième un Portoricain obèse qui a grandi à New York. À première vue, pas les poduits les plus faciles à marketer sous l'étiquette HIP HOP, du moins à l'époque où ils sont arrivés sur la scène musicale. Côté "surpoids", le Notorious B.I.G. avait déjà réussi à se hisser au sommet, mais son immense talent connu et reconnu y était pour beaucoup. Pou ce qui est des rappeurs blancs, ils étaient la plupart du temps des caricatures, le meilleur exemple étant Vanilla Ice, l'une des plus grosse blagues de l'histoire du rap... Pun et Em ont donc, malgré les a priori négatifs, réussi à se faire un nom (ce dernier arrivant même au statut d'idole interplanétaire!), et ce grâce à une évidence criante: CES MECS LÀ ÉTAIENT DES TUEURS, MICRO EN MAIN! Quiconque en douterait n'aurait que deux petits albums à écouter pour s'en convaincre: Capital Punishment, de Big Pun, et The Marshall Mathers LP, d'Eminem.
Dans Capital Punishment, Chistopher "Big Pun" Rios nous donne une véritable leçon de flow. Je ne donnerai que deux chansons en exemple: "Beware" et "Super Lyrical", feat ?uest Love, des Roots.
Sur ces deux morceaux on a clairement l'impression qu'il utilise trois poumons, tellement on se retrouve à court de souffle en tentant de suivre son phrasé, ses enchaînements meurtriers. Je ne parle même pas de la qualité de l'écriture (Big Pun = Grand Jeu de mots, littéralement, aussi bien q raccourci de Big Punisher)... C'est un des albums les plus sous estimés du hip hop, si vous voulez mon humble avis. On en retient l'hymne des dancefloors "Don't wanna be a player no more", certes plaisant à l'oreille (et au porte monnaie de son auteur) mais dans lequel il fait preuve de plus de versatilité à but commercial que de véritable talent brut; le reste de l'album a l'odeur underground du Bronx, son quartier Natal. De réglements de compte entre "gangsters" à des histoires d'amour, sexe, ego trip, trahison et honneur, toute la gamme de sujets et/ou stéréotypes ghetto y passe, mais avec une langue incisive, une écriture soignée et un phrasé diaboliquement efficace, Vraiment, une perle trop méconnue!
Quant à The Marshall Mathers LP, il a souffert de l'effet inverse: après le succès de son premier album ,The Slim Shady LP (en vérité son deuxième album studio, mais le premier est sorti en indé et n'a pas connu de succès commercial), en particulier des chansons "Hi (my name is)" et "Guilty conscience", qui ont obtenu un énorme succès commercial, Eminem était attendu comme le messie par tout le monde de la musique, hip hop ou pas. Dans ce nouvel album, des morceaux dans la même veine (The Real Slim Shady) ont continué de voler la vedette par leur ton sarcastique aussi bien que par leur qualité d'écriture indéniable, mais laissant dans l'ombre des morceaux beaucoup mieux écrits, beaucoup plus sombres et beaucoup plus poignants; "Stan" a réussi à devenir un hit Mtv aussi, mais la noirceur de l'esprit d'Eminem s'exprime avec autrement plus de brio sur des morceaux plus personnels et torturés. Eminem a attiré à lui la controverse, s'attaquant aux boys band, à la pop ado, aux homosexuels, à Mtv, jouant le trublion, et a presque fait oublier le fait que c'est un des meilleurs rappeurs ayant jamais pris le micro. Si on le dépouille de son côté strass et paillettes, de son auréole Mtv (qu'il a eu beaucoup de mal à porter), de son côté "fouteur de merde" et du fait qu'il soit blanc, il reste un individu qui exprime ses angoisses, ses frustrations et ses colères d'une façon jamais vue auparavant, qui frôle le génie. Et je n'ai pas peur d'employer ce mot...
L'écoute de The Marshall Mathers LP est une plongée dans le cerveau torturé d'un gamin issu d'une famille chaotique, d'un environnement tout aussi délabré, qui a grandi et s'est construit au gré de ses mauvaises expériences (pauvreté, violence, drogues, abus familiaux) et qui se bat en permanence avec ses démons. On assiste au film de sa vie, car les morceaux sont vraiment conçus comme des films, notamment "Stan" et "Kim", effrayant récit où il tue sa compagne pour cause d'infidélité... Pas son coup d'essai, puisque dans l'album précédent il la tuait déjà, mais de façon plus humoristique et décalée, avec sa fille comme témoin dans le morceau "97 Bonnie & Clyde"... sur "Kim", il franchit un palier dans le réalisme et dans l'horreur!
Bref, Eminem est un psychopathe en puissance, qui employe les mots pour ne pas avoir à passer à l'acte (même si par ailleurs il est passé à l'acte en matière d'alcool, drogue, auto-destruction sur place publique...); il viole sa mère sur une chanson pour la punir de son enfance de merde, l'enterre vivante sur une autre, se venge des gamins qui le brutalisaient à l'école en leur mettant des têtes de chat mort dans la boîte aux lettres, envoie royalement chier tout le public d'ados qui l'idolâtre pour ses chansons "pop" alors que son message va beaucoup plus loin... et en même temps, mêle sa fille, qu'on sent qu'il aime profondément, à ses délires psychotiques... il lui dédie des chansons, la met en scène, lui parle à la première personne... Il n'empêche! Prenez le morceau "I'm Back", par exemple... Un déversement de fiel et de bile contre ses détracteus dans le show business, humour noir pipi caca, on aime ou on n'aime pas... mais soudain, à la minute 3:35, un couplet, un tir de mitraillette, et peu importe le contenu, un chef d'oeuvre d'écriture et de débit:
"so I just, throw up a middle finger and let it linger
longer than the rumour that I was sticking it to Christina
Cause if I ever stuck it to any singer in showbiz
It'd be Jennifer Lopez, and Puffy you know this!
I'm sorry Puff, but I don't give a fuck if this chick was my own mother
I still fuck her with no rubber and cum inside her
and have a son and a new brother at the same time
and just say that it ain't mine, what's my name?"
Fantasme, perversion sexuelle, Oedipe non réglé, désir de choquer? je sais pas et je m'en fous! je sais juste que la formulation est parfaite, que le rythme sur lequel il débite cette phrase est à trouer le cul des plus sceptiques, et franchement, à ce stade, ça s'appelle un orgasme musical!
(article à venir sur "The Marshall Mathers LP", l'album le plus atypique de ma vie, à plus d'un titre...)
2 comments:
And if you ask me too
Daddy's gonna buy you a mockingbird
I'mma give you the world
I'mma buy a diamond ring for you
I'mma sing for you
I'll do anything for you to see you smile
And if that mockingbird don't sing and that ring don't shine
I'mma break that birdie's neck
I'd go back to the jeweler who sold it to ya
And make him eat every carat don't fuck with dad (haha)
BIG L REST IN PEACE
Eminem, Big Pun et Rakim sont des génies du mic.Ton article = fort
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