
Il est aisé d’enchaîner des beaux mots pour exprimer une belle idée, pour séduire. Aussi fausse ou romancée soit elle. Parfois, il nous plaît de jouer le jeu de l’amour, tant on en a besoin pour se sentir vivant, pour combler le vide ou pour passer le temps. C’est le propre de l’être humain de feindre des sentiments, pas d’autres mammifères ne me semblent capables d’une telle prouesse. On fait croire, on se fait croire un attachement plus grand que celui qui n’existe vraiment, par peur d’une seule chose : mourir seul. Quand nous sommes jeunes, nous changeons d’amant comme de chemise, l’âge de l’insouciance et de la découverte nous pousse à agir en accord avec notre nature. Puis, l’âge avançant, nous avons la capacité de nous projeter dans le futur, et nous rendons compte que ce mode opératoire ne peut durer qu’un temps si nous voulons accomplir ce que nous pensons être censés accomplir : fonder une famille, élever des enfants, vieillir ensemble. Rien n’est plus triste que de mourir sans quelqu’un qui nous tienne la main, qui nous accompagne dans nos derniers moments. Le plus souvent, nous espérons que ce sera l’être aimé (ou supporté) tout au long de notre vie. Car si la passion ne dure qu’un temps, le prétendu amour qui fait tenir les couples pendant des décennies est, lui, fait de compromis : « pour qu’un mariage soit réussi, l’homme doit être sourd et la femme aveugle », dixit Oscar Wilde. On n’est pas loin de la vérité tant ça résume la tendance général des rapports homme femme partout dans la planète. Je ne compte pas rentrer dans des pseudo-analyses réchauffées depuis des décennies du genre les hommes viennent de mars, les femmes de vénus. Rien à cirer d’où on vient, de l’image banale et banalisée de la guerre des sexes sur fond d’incompréhension. À mon sens, les hommes et les femmes souffrent surtout de trop bien se comprendre, mais de persévérer dans ce jeu malsain qui consiste à vouloir chacun prendre le meilleur de la situation aux dépens de l’autre. Car il s’agit de ça, dominer ou être dominé. Nous sommes suffisamment stupides pour ne pas nous rendre compte que le vrai équilibre vient d’une alternance tacite des situations, dans l’intérêt commun. À chacun de sentir quand dominer et quand se laisser dominer par son partenaire, quand serrer et quand donner du mou, quand posséder de force et quand abandonner l’autre à son seul libre arbitre. Nous sommes trop occupés à essayer d’asseoir notre position en de vaines oppositions, sans comprendre que c’est un jeu qui DOIT se jouer à deux, en toutes circonstances, à tout moment. Personne n’appartient à personne, encore moins pour l’éternité. Mais tant que nous sommes vivants, que nous avons des buts communs, des intérêts communs, des sentiments communs, nous devons nous tenir la main à deux sur cette corde raide, quitte à jouer à se faire peur pour mieux se rattraper, pour mieux se reposer l’un sur l’autre. Car la beauté, l’intellect, la capacité de surprendre finiront par s’essouffler un jour. C’est la construction d’un chemin commun, avec parfois des bifurcations pour mieux se retrouver, qui font qu’une vie à deux vaut la peine d’être menée « jusqu’à ce que la mort nous sépare … »